Cette fois, tout n’a pas commencé par un krach boursier… Non, la légende veut qu’un petit pangolin aurait hébergé puis véhiculé un virus mutant. Ce petit animal à l’allure sympathique, braconné pour d’obscures raisons médicales traditionnelles aurait-il déclenché la plus sévère crise économique mondiale depuis 1929 ?
Tout cela serait risible sans les morts, les malades et ceux qui perdent leur emploi, leurs revenus… Nous sommes passés en quelques jours d’une « gripette » à la psychose mondiale. Les fondations même de notre société (travail, école, institutions publiques, loisirs) ont été touchées en un éclair.
Les crises sont des moments particuliers. Celle du Covid-19 est d’un genre presque oublié car d’ordre sanitaire. Depuis les progrès gigantesques de la médecine au XXème siècle, nous n’avions pas connu dans les pays les plus favorisé une pandémie si impressionnante. Au point de nous pousser à supprimer nos réflexes culturels les plus ancrés comme la bise ou la poignée de main. Il y a bien eu l’apparition du SIDA au début des années 80 mais l’intimité nécessaire à la propagation de ce virus (hors « transfusions souillées »…) le place dans une catégorie différente.
Hausse du stress
Au fil de l’évolution de la pandémie liée au Covid-19, nous sommes passés d’une crise sanitaire à une crise économique. Verrons-nous dans les mois, années à venir une crise sociale prendre le relais ? Il est encore trop tôt pour le dire mais l’Institut de sondage Gallup a publié une méta-analyse mondiale dans la revue scientifique Human Performance. En analysant près de 63 000 entreprises et équipes commerciales, l’étude de Gallup indique que l’état d’esprit des travailleurs impacte encore plus les résultats économiques et opérationnels en tant de crise qu’en période « classique ». C’est un enjeu majeur dans le développement d’une organisation résiliente.
Nous sommes face à une hausse sans précédent du niveau de stress et de l’inquiétude au quotidien (mesurée dans différents sondages aux États-Unis). En France, la défiance habituelle (culturelle ?) des salariés envers leurs dirigeants d’entreprise et leurs managers entraine un manque de confiance et sape le sentiment de sécurité. Dans une situation économique aussi incertaine comment les entreprises peuvent-elles développer chez leurs employés un état d’esprit propice à la résilience organisationnelle ?
Développer une organisation résiliente
Gallup a donc analysé les facteurs de succès (rentabilité, productivité, qualité du service perçu par les clients, rotation du personnel…) sur une période de 20 ans, de 1995 à 2015. La période englobe donc l’explosion de la bulle Internet et la crise financière de 2009-2009.
En se concentrant sur ce qui « marche » Gallup reste fidèle à sa philosophie « CliftonStrengths ». Cela permet également d’identifier des facteurs communs de succès. Le constat de départ est que les organisation et les cultures les plus prospères sont celles qui réussissent mieux à s’adapter aux tempêtes et reprennent leur cap plus vite quand le beau temps revient. Quand elles repartent, elles vont plus vite encore que les autres, fortes de leur nouvelle expérience. En psychologie, on parle de résilience.
J’adore ce concept que j’ai déjà abordé dans un autre article récent. Si la résilience a un impact direct sur la performance globale (économique, sociale et sociétale) d’une organisation comment les managers et les dirigeants peuvent-ils la favoriser ?
C’est quoi exactement une « organisation résiliente » ?
Dans « La résilience des organisations », Lucie Begin et Didier Chabaud donne une explication claire que vous pouvez retrouver dans leur article ici. En résumé, ils rappellent que cette capacité à rebondir et à s’adapter se développe en amont de la crise. Ce n’est pas quand vous êtes pris dans la tempête que vous apprenez à piloter votre bateau…
Pour ces 2 auteurs, l’organisation résiliente doit développer 3 aspects : le pragmatisme (éviter les excès d’enthousiasme, appréhender les choses telles qu’elles sont), un système de valeurs partagées (donne du sens et de la cohésion) et une culture ingénieuse (tirer parti des ressources et des opportunités).
Dans leurs recherches sur la longévité entreprises familiales, ils distinguent 4 éléments de succès : le réalisme (être capable par exemple de changer d’organisation interne si l’évolution l’exige), la créativité (savoir passer d’une stratégie déclinante à une plus prometteuse), le courage (faire table rase du passé et encourager l’avenir) et la proactivité (déployer ses antennes pour trouver de nouvelles opportunités).
Une organisation résiliente met en place en amont d’une crise les facteurs qui lui permettront de mieux gérer les conséquences en aval.
5 points à retenir
La méta-analyse de Gallup révèle que la relation entre l’engagement des employés et la performance est encore plus cruciale en temps de crise. C’est un effet bien connu des temps difficiles, ils renforcent le clivage entre les plus forts et les plus faibles. Concrètement, les plus riches avant la crise en sortent encore plus puissants et les plus vulnérables sont laminés.
Cependant, avec cette étude, 5 facteurs sont mis en avant pour booster la résilience globale d’une organisation.
- Des attentes claires
- Des moyens adaptés
- Pouvoir faire plus souvent ce qu’on fait de mieux
- Comprendre l’utilité de la mission
- Une culture globale positive dédiée à la qualité et l’efficacité
Ces 5 facteurs ne sont pas tellement une surprise pour ceux qui suivent les recherches de l’Institut Gallup. On retrouve là les grands champs de recherches et les convictions profondes de cette organisation dédiée à l’amélioration de la qualité de vie au travail. Au-delà de ce constat, ces 5 points révèlent l’importance de l’exemple, de la communication et d’une culture basée sur les forces au sein des entreprises. Analysons ensemble la portée de chacun de ces points…
A/ Des attentes claires
Toujours selon Gallup, « pendant les périodes difficiles, les employés ont besoin de managers qui redéfinissent les priorités, les impliquent dans l’adaptation des objectifs et clarifient constamment leur rôle par rapport à leurs collègues ». La première cause de l’augmentation du stress pendant la crise sanitaire est le manque de perspectives claires. Que ce soit les politiques, les citoyens ou les entrepreneurs, nous avons tous dû nous adapter au jour le jour. Nous ne sommes pas tous égaux face à une telle incertitude. Hors l’aspect économique, sur le plan psychologique, nous gérons tous de manière différente cette perte de contrôle.
Si vous êtes #Restorative ou #Adaptability dans votre Top 5, vous aurez naturellement plus de ressources et de créativité dans cette période pour vous adapter et rebondir. Au contraire, si vous avez plutôt un #Deliberative ou #Consistency très haut placé, cela peut vous apporter plus de stress lié à un cadre devenu flou. Ça me donne soudainement une idée d’article…
On attend d’un leader une vision claire et puissante à laquelle on puisse adhérer. C’est le fondement des religions autant que de la politique. Au-delà de cette vision, chacun à son niveau doit savoir ce qu’on attend de lui. La définition objective du rôle et des missions des employés est donc une des clés des organisations résilientes selon Gallup.
B/ Des moyens adaptés
En conséquence, lorsque les missions sont précisément définies, les managers doivent apporter des moyens adaptés aux objectifs. En période de crise, tout doit être rediscuté régulièrement. Les ressources dont les employés ont besoin pour effectuer leur travail évoluent. Masque, visière, écran de plexiglass ou gel hydroalcoolique sont indispensables aujourd’hui à la reprise de l’activité alors qu’ils étaient absents des stocks il y a seulement quelques mois. Mettre à disposition des employés des moyens adéquats permet de minimiser le stress et d’améliorer les performances.
De plus, un salarié à qui on permet d’assurer son travail en toute sécurité et avec des moyens adaptés a plus tendance à être engagé. Une infirmière obligée de dénoncer en vidéo la piètre qualité des surblouses qui se déchirent toutes seules ne peut que sentir la colère monter en elle…
C/ Faire plus souvent ce qu’on fait de mieux
Ce troisième point est en phase directe avec une culture basée sur les Forces. Chaque fois que nous sommes obligés de faire appel à nos zones de lacunes ou d’incompétence pour remplir une tâche, cela nous draine. C’est normal, nous n’atteignons pas un résultat satisfaisant alors que nous dépensons parfois une somme d’énergie démesurée !
A l’opposé, notre « zone de génie » nous apporte motivation, énergie et satisfaction. Pour qu’un employé puisse faire davantage ce qu’il fait de mieux, il faut détecter ses talents et l’encourager à les développer en forces. C’est une culture de l’écoute et de la personnalisation des postes. Plus l’organisation compte de personnes, plus il faut de temps pour mettre en place cette culture. Ce temps est loin d’être perdu puisqu’il en résulte un plus grand engagement, un turn over plus faible (donc moins de temps passé à former les nouveaux arrivants) et une productivité ou une qualité de service accrue. Au final, c’est la profitabilité de toute l’entreprise qui est en jeu.
A titre individuel, la capacité à tirer parti de ses points forts en cas de crise marque la frontière entre saisir une opportunité et subir les circonstances. Si vous avez des enfants scolarisés mais d’âges différents, vous avez peut-être suivi les cours à distance de vos enfants pendant le confinement. Avez-vous remarqué les différences énormes d’adaptation des profs à cette réorganisation de leur métier ? certains étaient comme des poissons dans l’eau en enchainant les coaching de petits groupes sur Zoom et d’autres ramaient, pétrifiés par la technologie et l’effort à fournir pour sortir de leur zone de confort. Il n’y a aucun jugement là-dedans, cela illustre seulement les limites de chacun face à une situation donnée…
Personnellement, à chaque fois que je sors d’un coaching, quelque soit mon humeur d’avant, je me sens plein d’énergie, serein, heureux et apaisé. Aucune autre activité m’apporte ce bien-être. Ces moments d’écoute et de partage restent ancrés en moi. Je sais alors que je suis dans ma « zone », complétement aligné avec mes valeurs et mon objectif.
D/ Comprendre l’utilité de la mission (et sentir son propre impact sur ‘ensemble)
Vous connaissez l’histoire du balayeur d’atelier chez SpaceX ? C’est le genre de personnes discrètes et dont le travail parait soit insignifiant soit primordial. Savez-vous ce qu’il pense lui, de son poste, de sa mission ?
Il ne balaie pas le sol. Non. Il « aide à lancer des fusées à la conquête de Mars ». Voilà. Il fait parti du Grand Plan imaginé par Elon Musk. Il est à sa place dans la chaine de responsabilité. Sa mission est d’importance puisque le nettoyage est primordial dans une usine avec des salles blanches !
Chaque personne doit comprendre le lien entre sa mission et l’objectif de l’entreprise ou de l’organisation. Pendant une crise, les gens ont encore plus besoin de voir comment leur travail s’insère dans le tableau d’ensemble. Ils veulent s’assurer que leur travail est important et qu’ils ont un impact dans le résultat global. De cette manière, ils se sentent vraiment en prise avec le réel.
Typiquement, les informations des médias nous assène des nouvelles déplorables sur lesquelles nous n’avons pas ou très peu de prise. Il y a 2 conséquences directes :
- Cela nous sidère. Notre action est bloquée car notre cerveau tente d’analyser un phénomène incompréhensible.
- Cela nous démobilise. Nous nous dissocions de toute action potentielle car intimement, nous sentons qu’elle sera vaine. L’humain déteste généralement les actions inutiles car elle sont couteuses en énergie.
En conséquence, construire une organisation résiliente
E/ Une culture positive partagée
Vous ne devez pas être le seul ou la seule à vous démener pour faire avancer les choses. Vous devez pouvoir compter sur vos collègues. La plus large proportion possible des éléments de l’organisation doit être engagée à faire un travail de qualité. Et pas de relâchement en cas de crise ! Le respect et la confiance sont à ce prix.
Selon de nombreuses études de Gallup sur l’engagement au travail démontrent qu’une petite frange de personnels activement désengagés peuvent faire basculer toute l’organisation du côté obscur. Les « saboteurs » exercent une influence négative sur toute l’échelle de décision. On peut se souvenir de l’épisode miteux de la grève de l’équipe de France de Foot. Cloitrés dans leur bus, défiant leur coach et leurs supporters, un « quarteron de généraux » a fait basculer toute l’équipe dans un cauchemar en pleine Coupe du Monde…
Conclusion
En conclusion, Gallup rappelle que pour créer des organisations résilientes, il faut des gestionnaires très engagés et talentueux pour mettre leur équipe en relation avec d’autres équipes de l’organisation. Développer une coopération efficace accroit la résilience en période difficile pour que l’organisation prospère en tout temps. Les organisations résilientes et prospères s’engagent à identifier et à développer les meilleurs gestionnaires, ceux qui fonctionnent davantage comme des coachs que des patrons. Ces managers sont continuellement en contact avec leur équipe.
La résilience en période difficile commence lorsque les dirigeants se concentrent sur l’essentiel :
- Clarifier les rôles
- Veiller à ce que les employés disposent de ce dont ils ont besoin pour faire leur travail
- Les mettre en mesure de faire leur meilleur travail possible
- Aider les gens à voir comment leur travail s’articule avec un objectif plus vaste
- Avoir des normes de qualité extrêmement élevées dans toutes les équipes.
C’est en se concentrant sur ces éléments qu’une équipe peut le mieux faire face à la pandémie de coronavirus et à toutes les crises auxquelles elle sera confrontée à l’avenir tout en construisant une organisation résiliente…
Que les Forces soient avec Vous
Guillaume Le Penher
Photo d’illustration du pangolin : photo credit: dolanh crawling away via photopin (license)