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La créativité au travail : enjeu commercial ou social ?

Vous connaissez la pâte à modeler Play-Doh ? Cela vous rappelle des souvenirs ?

Cette matière a été créée dans les années 30 par la firme américaine Kutol. A l’origine, elle servait à gommer et nettoyer les papiers peints encrassés par les systèmes de chauffage au charbon ou au fioul…

Play-Doh, exemple de la créativité au travail ?

En 1955, avec l’arrivée des tapisseries lavables et l’évolution des modes de chauffage, la société Kutol est au bord du gouffre. Les frères Mac Vickers ne savent plus comment remonter la pente. Un des employés de l’entreprise a une belle-sœur institutrice. En voyant un échantillon de cette pâte de nettoyage, elle imagine immédiatement l’utiliser avec ses élèves. Elle détourne donc l’usage de ce produit pour en faire un jouet pour enfants ! La marque Play-Doh nait peu de temps après.

Le reste de l’histoire est du marketing et du commerce. Le groupe Hasbro détient aujourd’hui la marque pour son plus grand profit. On estime la masse totale de pâte à modeler Play-Doh vendue à travers 75 pays dans le monde à plus de 350 000 tonnes ! De quoi réjouir des générations d’enfants.

Sérendipité et créativité

L’histoire de Play-Doh est un mélange de sérendipité (la pâte pour tapisserie détournée fortuitement de son usage initial) et de créativité. Autant il peut sembler difficile d’encourager la sérendipité, autant la créativité doit être placée au cœur des préoccupations dans l’entreprise.

La créativité n’est pas l’apanage des professionnels dédiés à la création ! Il n’y a pas que les designers, architectes, écrivains ou autres métiers d’Art qui doivent être créatifs. Aujourd’hui, les entreprises utilisent les ressorts de la créativité pour se démarquer, obtenir de nouveaux marchés et accroitre leur compétitivité. Voilà l’enjeu commercial actuel.

C’est quoi la créativité au travail ?

La créativité au travail, comme disent les anglo-saxons, c’est « think out of the box ». Penser différemment puis agir différemment pour obtenir de nouveaux résultats. Dominique Lhuilier, Jean-Philippe Bouilloud, Anne-Lise Ulmann et les autres auteurs de l’ouvrage collectif « La créativité au travail » ont une autre définition. Selon eux, « Travailler n’est pas exécuter.Dans le décalage irréductible entre ce qui est défini comme étant à faire et ce qui est fait, se loge la créativité ».

La créativité se niche donc dans un espace plus ou moins réduit, en fonction des attentes de l’encadrement d’une organisation. D’après une étude menée par Gallup auprès d’un échantillon de travailleurs américains, seulement 29% des sondés sont tout à fait d’accord pour dire qu’on attend d’eux d’être créatif et de penser à de nouvelles manières de faire les choses. On voit bien que même au sein d’une culture professionnelle développée, la créativité au travail n’est pas encore à l’ordre du jour…

Comment développer la créativité au travail ?

Gallup a creusé un peu loin le ressenti des salariés à propos de la créativité et des attentes de leur encadrement. Parmi les salariés qui sont tout à fait d’accord pour dire qu’on attend d’eux d’être créatif, seulement 52% déclarent qu’on leur donne du temps pour le faire…

Comme Steve Jobs l’a dit : « Vous ne pouvez pas imposer la productivité, vous devez fournir les outils nécessaires pour permettre aux gens de donner le meilleur d’eux-mêmes? »

Alors, pour encourager cette créativité au travail, il faut commencer par éliminer tous les obstacles en donnant aux employés le temps, la permission et la liberté d’être créatifs. C’est en agissant ainsi que nous permettons « aux gens de donner le meilleur d’eux-mêmes », c’est-à-dire la créativité ! Par exemple, les ingénieurs de Google disposent d’un jour par semaine qu’ils consacrent à des recherches sur des projets personnels pour l’entreprise. Le cabinet de conseil Brighthouse de Joey Reiman accorde à son personnel 5 jours par an, en plus des congés, pour « rêvasser » !

Les freins à la créativité au travail

D’après Valérie Voiron (coach et formatrice), il existe 4 blocages principaux pour mettre en œuvre cette politique dans le milieu de travail. Elle les détaille dans un article publié sur le site Studyrama. Pour elle, ces blocages sont plutôt liés à l’humain qu’à l’organisation. Le poids des habitudes (c’est rassurant et confortable), la peur de l’inconnu (facteur de stress), la méconnaissance (ignorance et/ou hésitation) et la critique externe (focalisation sur des causes externes, « fixed mindset« ) bloquent la créativité des employés.

Mesurer la créativité

Un autre frein potentiel à la mise en place d’une culture de la créativité au travail est le besoin rationnel de mesurer des résultats. Comme pour la recherche fondamentale, les bénéfices financiers ne sont pas immédiats.

Une des idées avancées par Gallup est de se concentrer sur d’autres indicateurs que la rentabilité à court terme. Par exemple, le nombre d’idées nouvelles ou de pistes de recherche proposées par les employés. Il est indispensable pour une bonne gouvernance de la créativité d’organiser des temps de restitution du travail effectué. Lors de ces regroupements, les idées sont partagées et dynamisent l’ensemble de l’équipe. Une idée encore imparfaite peut bénéficier d’un effet itératif du groupe et être peaufinée plus rapidement.

Accepter l’échec

Développer la créativité au travail, c’est un chemin risqué ! Il n’y a aucune certitude au départ que la démarche sera couronnée de succès. Il parait bien plus « raisonnable » de peaufiner des fiches de poste et d’exiger leur application sans réserve… Pour un temps seulement. Le commerce est intrinsèquement une entreprise risquée ! Que vous vendiez des produits physiques, dématérialisés ou des services vous prenez des risques en les proposant à la vente.

En développant la créativité au travail, la seule certitude est l’échec. Thomas Edison a fait plus de mille essais avant de parvenir à créer le filament de sa première ampoule. C’est avant tout un « serial looser ». Pourtant, il est connu pour ses nombreux succès ! Pour réussir, il faut donc développer sa tolérance à l’échec.

Selon l’institut de sondage américain Gallup, « Les gens sont assez peu enclins à prendre des risques au travail si l’évolution de leur carrière repose sur la démonstration d’un parcours professionnel réussi… » Cela signifie qu’il ne faut aucun accroc, que tout le chemin doit être lisse et impeccable.

Il n’est donc pas surprenant que seulement 18% des travailleurs américains interrogés par l’institut de sondage soient fortement d’accord pour dire qu’ils peuvent prendre des risques au travail qui pourraient aboutir à de nouveaux produits, services ou procédés.

L’aversion pour le risque

Ce danger est réel pour l’avenir de toute entreprise. Avoir peur de prendre des risques pour innover et se démarquer est la limitation la plus sournoise pour toute organisation. On pense se protéger alors que c’est le contraire qui se produit. Dans un monde en perpétuel mouvement, celui qui fait du sur place s’expose. En effet,  le statu-quo ne profite qu’aux concurrents qui continuent d’avancer !

Quand même, il y a des limites à la créativité au travail !…

Collaboration et engagement

Si la créativité au travail présente un risque, la limiter ou la bannir est pire encore. En effet, lorsque les salariés pensent que leurs idées ne seront pas les bienvenues ou que l’échec sera sanctionné alors ils ont tendance à se renfermer sur eux-mêmes…

Les études menées dans plusieurs entreprises américaines prouvent que l’engagement des salariés augmente lorsque la créativité est au cœur de la culture de l’entreprise. Cela signifie plus de collaboration au sein du lieu de travail. Cette culture renforce également le sentiment d’appartenance à une entreprise. Du coup, les salariés sont deux fois moins susceptibles de rechercher un autre travail.

L’effet Kiss-Cool

Mettre en place une culture créative dans l’entreprise apporte un avantage concurrentiel encore mal identifié. Engagement au travail, faible turn-over, image de marque, facilité de recrutement… Une fois en place, cette dynamique se propage vite. Si ses effets profonds sont à mesurer à long terme, les candidats, eux, affluent naturellement vers ces entreprises. Lorsqu’on voit les difficultés de recrutement actuelles dans certains secteurs, ce seul argument devrait convaincre certains leaders !

Enfin, pour terminer, le dernier effet bénéfique de cette politique interne est la fidélisation des clients. Nous nous associons facilement à des marques et des organisations créatives.

La créativité au travail est donc un enjeu majeur pour le développement de nos entreprises. C’est à la fois un atout social, commercial et concurrentiel.

Que les Forces soient avec Vous !

Guillaume Le Penher

Sources :

La créativité au travail, de Gilles Amado, Jean-Philippe Bouilloud, Dominique Lhuilier et Anne-Lise Ulmann. Éditions Érès, 2017

Fostering creativity at work, Ben Wigert and Jennifer Robison, Gallup poll, 2018