Histoires de Focus : Les poulpes apprennent de leurs erreurs…
Il faut bien le dire, le Focus (ou Focalisation) n’est pas un thème très répandu dans les résultats du test CliftonStrengths de Gallup. Avec à peine 10% d’occurrence contre plus de 34% pour Achiever (Thème de la Performance qui est le plus partagé), le Focus est plutôt rare. Il agit comme un rayon laser qui vous permet de pointer votre objectif… Et de ne jamais le perdre de vue !
Mon Focus est très haut dans mes résultats et je le vois en action constamment. Couplé avec le thème d’Achiever, cela devient parfois comme un rouleau compresseur pour abattre le boulot ! Mais, vous me voyez venir, je vais vous parler aujourd’hui du revers de la médaille de ce thème fabuleux qui, chez moi, anéantit la procrastination… Pour cela, je ne vais pas vous raconter d’histoire, je vais plutôt vous faire part d’une expérience réelle qui m’est arrivée il y a quelque temps…
On the road again
En ce mois de décembre 2017, je me rendais un peu anxieux à Paris. Avec mon épouse, Sophie, nous devions faire une présentation importante de notre travail d’artistes le lendemain. Nous connaissions ces moments depuis plus de 10 ans : charger le camion, quitter le foyer après avoir confié nos enfants, rouler puis décharger, faire le show, remballer, rouler encore…
Pendant longtemps, nous aimions ces trajets passés à faire le point et discuter de l’avenir. Pour un couple d’artistes ces instants sont précieux. Ils nous apportent une saine émulation. Pourtant, cette fois-ci, nous étions plus tendus. L’enjeu était important à nos yeux. Nous roulions vers la soirée célébrant les 25 ans de la Fondation Banque Populaire à l’opéra Comique de Paris ! En tant que lauréats de cette prestigieuse fondation, nous étions appelés à monter sur scène. Dans ce décor somptueux que Louis XIV avait foulé nous allions présenter devant près de mille invités notre installation artistique tactile et interactive : « Please Touch ! ».
Nous avions travaillé pendant des mois, avec le soutien financier de cette fondation, à concevoir et fabriquer une œuvre hybride mêlant art, artisanat et nouvelles technologies. Avec cette installation nous allions à l’encontre des préceptes établis, nous bousculions les frontières. A la fois œuvre physique et expérience visuelle et sonore. A travers le triptyque Homme / Matière / Outil, nous explorions la relation qui lie l’humain et la création…
Mais ce n’était pas tant de présenter notre travail qui me rendait tendu. Non. En fait, j’étais dans un état de fatigue physique et moral intense depuis plusieurs mois. A la lisière du burn-out physique. Alors, pour être sûr de remplir mon objectif, je me reposais inconsciemment sur un de mes talents naturels les plus forts chez moi : Le FOCUS.
Planning serré…
Pendant le trajet, je refaisais mentalement l’ensemble du déroulé du déplacement :
Arrivée à Paris vers 15h30, on laisse le camion au parking le plus proche de l’Opéra Comique que j’avais réservé quelques jours plus tôt. Ensuite, direction l’hôtel, petite sieste puis répétition de notre speech du lendemain. OK. Trafic fluide, météo correcte pour ce début d’hiver…
A l’heure prévue, nous arrivons au parking situé juste à côté du Palais Brogniart, la bourse de Paris. Entrée dans le parking. Et là, CRRRR ! Le toit du Transporter touche le signal de hauteur. Trop tard, nous sommes engagés. Nous pénétrons dans le premier niveau du parking sans dégâts. Le gardien me fait signe de ressortir. Je lui montre ma réservation et lui indique que mon véhicule est bien celui pour lequel j’ai réservé. Il ne veut rien savoir et m’indique la sortie. Comme il y a du monde derrière mois, je ressors garer le camion à l’extérieur du parking.
Là, mon focus monte d’un cran : j’ai réservé, j’ai le bon de véhicule, la hauteur indiquée à l’entrée est conforme. Je DOIS me garer et continuer mon programme millimétré. Muni de ma réservation, je redescends voir le gardien. Je le trouve dans un coin, fumant une cigarette avec un agent d’entretien qui part quand j’engage la discussion avec le gardien.
Dialogue de sourds
Ce premier niveau du parking est vide mais « privé » semble-t-il. Les niveaux inférieurs sont plus bas de plafond, impossible de m’y garer. Un abonné du parking me confirme alors avoir déjà abimé un camion similaire en tentant d’aller plus bas… Je demande alors au gardien de me garer à ce niveau.
« _ Impossible, c’est réservé !
_ Mais c’est vide et j’ai une réservation déjà payée !
_ C’est pas mon problème, faut partir c’est tout ! »
Le vieil employé maghrébin ne veut rien savoir. Il retourne dans son bocal glauque qui lui sert de bureau. Je le suis et demande qu’il appelle un supérieur pour trouver une solution. Il refuse. Entre temps, m’étant saisi d’un mètre à ruban, je vérifie la hauteur de la barre d’entrée du parking. A 2 cm près, c’est OK. Le problème vient plutôt de la pente de la rampe d’accès. Si vous avez déjà utilisé ce genre de parkings souterrains alors vous connaissez cette désagréable impression de s’engouffrer littéralement dans les entrailles de la ville…
En roues libres
Le souci donc, ce n’était pas la barre mais la pente. Avec l’empattement d’un véhicule un peu long, la hauteur utile du parking n’est plus de 1,90m ! Au lieu de 2 mètres. BUG.
Je retourne voir mon gardien et lui fait part de cette analyse technique. FOCUS : je DOIS me garer et continuer mon programme. Je commence à me mettre en mode rouleau compresseur.
Sophie quant à elle, est restée dans le camion, mal stationné, à l’extérieur. Elle est captivée par une émission scientifique de France Culture qui décrit par le menu l’intelligence du poulpe… 3 cœurs et du sang bleu !
Dans les entrailles de la ville, je commence à m’impatienter. Dans le bocal, l’ambiance chauffe. Je redemande au gardien d’appeler son supérieur. Niet. Il veut me sortir de son bocal, je refuse. J’aperçois alors le numéro de téléphone de son superviseur sur le bureau. Ni une ni deux, je prends mon téléphone et appelle. FOCUS. Le gars, un peu surpris, me dit rapidement qu’il ne peut pas régler ce problème et m’indique d’appeler le service client payant dont le numéro est sur la vitrine extérieure du bocal… Je sens comme une embrouille monter, j’insiste mais rien n’y fait. Tout en discutant au téléphone, je me déplace vers la vitrine en question. Un pied dehors, un pied dedans, je regarde la vitrine et perds de vue un bref instant le gardien patibulaire. Grosse erreur !
Le point de bascule
Là, tout s’emballe. Comme une assiette que l’on pousse millimètre après millimètre vers le bord de la table, l’inéluctable se produit. Je ne vois rien du drame en train de se nouer car à ce moment je suis complétement aveuglé par mon Focus. Le gardien, pris d’un soudain accès de colère ou d’exaspération me pousse violemment pour m’éjecter de son bureau-bocal. Mon téléphone valdingue. Dans la bousculade, mon précieux papier de réservation tombe du côté intérieur du bocal. La bourrade du gardien ne suffit pas à me détourner de ma « mission » et j’esquive la deuxième charge pour récupérer mon papier. M’en étant saisi, je me retourne pour assister, médusé, à un numéro de bluff du gardien qui fait semblant d’être blessé et s’allonge sur un paillasson, à quelques centimètres de la barrière d’accès des voitures…
Je suis un instant médusé par cet événement improbable. Le gardien gémit, allongé sur son paillasson. En le voyant sortir son téléphone portable, je comprends la supercherie : il tente de simuler une agression ! Dominé par mon Focus, je n’avais pas perçu à quel point cet homme était dépressif et malheureux dans cet univers de fin du monde. Je venais de lui fournir une occasion en or massif pour échapper un temps à sa misérable condition…
L’emballement
Toujours focalisé sur mes objectifs du jour, je tente de relever le gardien. Il gémit de plus belle, se plaint de la colonne vertébrale. Là, je dois l’avouer, je lâche une bordée de jurons ! Putain, ce gars est en train de me faire un sale coup ! Et voilà le gardien qui appelle son chef, les pompiers… Manque plus que sa pauvre mère si elle est encore de ce monde.
Pendant quelques secondes, je pense à quitter les lieux et trouver un autre stationnement. Petit coup d’œil latéral : 1, 2, 3 caméras sont en train d’immortaliser ce piteux évènement… La gloire est proche ! J’aperçois maintenant Sophie qui descend le long de la rampe d’accès. Elle trouve le temps long malgré sa passion nouvelle pour les poulpes.
Heureusement qu’elle me connait depuis longtemps car au vu de la scène, elle aurait pu imaginer rapidement une autre histoire. Nous décidons d’attendre les pompiers afin de leur expliquer la situation. Dans ma tête, la pression de mon Focus monte encore d’un cran face à ce nouvel élément perturbateur.
Le camion rouge
Sirène, gyrophare, camion rouge, brancard… La totale ! J’explique succinctement aux pompiers l’état de la « victime ». Le chef d’équipe effectue alors, l’air de rien, une petite manipulation qui aurait dû arracher un cri de douleur à mon gardien à l’agonie sur son paillasson. Pas de réaction. Le diagnostic du sauveteur confirme ma version : à priori pas de lésion à la colonne.
Pourtant le protocole doit être suivi à la lettre. Les pompiers installent donc le gardien dans une attelle gonflable sur le brancard et direction les urgences avec son chef qui vient d’arriver de sa tour d’ivoire…
Le chef d’équipe m’informe alors que, maintenant, je dois attendre la police qu’il est obligé de prévenir lors d’un cas « d’agression violente ». Sidération.
L’instant d’après, j’entre en plein surréalisme : me voilà seul dans le bocal du gardien à tenir le parking en attendant les forces de l’ordre…
Le camion bleu
Sirène, gyrophare, camion bleu, flics en civil… Là, je ne rigole plus du tout. Je tente intérieurement de me rassurer en me disant que les caméras du parking pourront témoigner en ma faveur. Mais a-t’on déjà vu une caméra venir à un procès ?
Les flics m’interrogent une première fois. En nous voyant Sophie et moi, ils semblent plutôt accorder du crédit à notre version. « Allez, on va vérifier tout ça au poste avec l’OPJ (officier de police judiciaire) ! Vous nous suivez avec votre camion jusqu’au commissariat du 2ème arrondissement. Pas de blague hein ! » Comme si j’étais d’humeur à faire des calembours…
Le commissariat miteux
17h, je me retrouve sur un banc patiné à côté d’un sans-papier marocain arrêté pour violence, lui aussi… Entre mes mains, le livre de Roy Baumeister et John Tierney « Le pouvoir de la volonté ». Un des meilleurs livres sur le self-control que j’ai pu lire jusqu’à présent ! Mais à ce moment-là, j’en étais encore qu’au premier tiers. Je tente de me plonger dans cette lecture instructive avant de me faire interpeller puissamment quelques instants plus tard :
» Qu’est-ce que vous faites ?
_Ben, je lis en attendant l’OPJ…
_ Mais vous n’avez pas le droit ! Si l’OPJ vous voit faire, ça va chier. En plus, il est plutôt du genre à laisser macérer les prévenus en GAV (garde à vue). Vous me rangez ça tout de suite !… »
Le temps n’est plus le mien, je ne m’appartiens plus, je suis dans l’engrenage… Me voilà ensuite en train d’aider la communication en espagnol entre mon voisin de banc marocain et le flic de permanence. Le temps passe lentement. Mon Focus me taraude toujours mais je ne sais plus si je vais pouvoir sortir d’ici à temps pour continuer mon programme. Je suis venu à Paris avec Sophie pour être dans la lumière de la scène d’un opéra tricentenaire et voilà que je commence à moisir dans la crasse de ce commissariat miteux.
Signez-là !
Au bout d’une heure et demi, le commissaire avec lequel j’ai discuté dans le parking me fait monter dans un bureau tout aussi miteux pour prendre ma déposition. Il a eu le temps de vérifier mon passé vierge de faits de violence. Sinon, j’étais bon pour passer au moins la nuit ici. Il a reçu le rapport des pompiers, pas de lésions. Le gardien, malgré des antécédents psychiatriques, manifeste son intention de porter plainte contre moi. Je suis donc « l’accusé ».
Je parle des caméras et de la preuve qu’elles contiennent. Le flic me douche froid en m’expliquant que la procédure de récupération des bandes est longue, complexe et souvent couronnée d’échec. C’est donc parole contre parole. Ouille !
Toujours est il qu’il a discuté avec le fameux « OPJ qui aime la viande macérée à l’ombre des cellules de garde à vue ». Par chance, il ne souhaite pas me garder. Il a déjà assez à faire avec des sans-papiers, des camés et d’autres cas qui semblent plus excitants. Je ne suis pas dans son Focus !
Le commissaire prend donc ma déposition. Je la relis et commence à la corriger. Je le sens, ce commissaire a fait des efforts pour rédiger mais je ne peux m’empêcher de revoir des tournures de phrases et quelques fautes bénignes. Franchement, des fois, je suis un vrai casse-couille… C’est l’effet Maximizer : toujours chercher à transformer quelque chose de bien en œuvre superbe ! comme si c’était le lieu et le moment. Il accepte de bon cœur mes corrections et c’est parti pour l’imprimante et la signature. Pour moi, pas de copie, je suis l’accusé et c’est un avocat qui doit faire cette demande !
De l’air !
19h30, je suis à nouveau un homme libre ! Ouf ! Entre temps, Sophie est allée à l’hôtel pour tenter de se reposer sans savoir quand je sortirai. Je la rejoins en camion. Et là, nous réalisons que nous en sommes encore au point de départ : il faut mettre à l’abri le camion rempli de matériel. Nous faisons le tour du quartier. Pas de place. Un autre parking. Trop bas. Encore un autre…
Toutes les péripéties de la journée nous ont épuisés. Dans ces cas-là, mon Focus se déclenche encore. En mode « Sauvegarde ». Je suis près à faire la route du retour, là, maintenant. Rentrer maison, quitter Babylone. Se protéger. Tant pis pour les paillettes, tant pis pour toute cette énergie perdue, tant pis pour les frais.
Sophie me convainc de faire un dernier essai dans un dernier parking du même type. Cette fois-ci je la laisse descendre et négocier avec le gardien… Elle revient quelques instants plus tard, victorieuse : on peut se garer pour la nuit dans la partie « privée » du parking ! Enfin !
On stage !
Après une courte nuit, nous arrivons à l’Opéra Comique épuisés mais avec la tension nerveuse du « jour J ». Répétition le matin puis Générale le midi. La scénographe nous félicite au passage : « Ah ! On voit que vous avez bien répété votre prestation ! ». En fait, non !
Le soir, devant près de mille invités, dans ce lieu si prestigieux, nous vivons un des pics de notre carrière ! Parler de notre passion, de notre travail sur cette scène emblématique est un cadeau de la vie ! Pour en arriver à ce résultat, j’ai fait appel à mon talent de Focalisation quasi en permanence. Couplé à mon talent de « Réalisateur » (Achiever), cela me donne de la puissance. Mon focus m’aide à fixer mes objectifs et à mettre de l’ordre dans les étapes pour les atteindre. Ensuite, mon besoin de réalisation se déclenche afin d’appliquer le plan définit…
Pourtant la veille, j’avais plutôt exprimé l’ensemble des « basements »* de mes thèmes comme on dit chez Gallup. J’avais uniquement utilisé le « côté obscur » de mes forces.
Et vous ? Comment voyez-vous vos talents à l’œuvre dans votre quotidien ? Êtes-vous conscient de la force qu’ils vous apportent ? Comprenez-vous comment ils se combinent et se décuplent ? Vivez-vous plutôt le « Basement » ou le « Balcony » de vos thèmes ? Si ce n’est pas encore le cas, il est temps de vous rapprocher d’un coach certifié par Gallup pour vous aider à faire ce travail puissant !
La tête et les pieds…
Sur le trajet du retour, Sophie m’a finalement raconté la vie et les capacités incroyables des céphalopodes (littéralement « tête et pieds » en grec !). Au détour d’une phrase, elle me lâche une petite pépite :
« Au fait, tu sais que les poulpes apprennent de leurs erreurs !… »
Un court instant, j’ai failli le prendre pour moi. Je me suis concentré à nouveau sur la route pour doubler un camion. Moi aussi j’ai une tête et des pieds ! Si les poulpes apprennent de leurs erreurs, je dois faire bonne figure. Depuis lors, cette idée ne me quitte plus… comme une ventouse !
Que les Forces soient avec Vous !
Guillaume Le Penher
*= Chacun des 34 thèmes du test CliftonStrengths est neutre. Lorsque vous recevez vos résultats, vous allez identifier comment vos thèmes principaux s’expriment naturellement chez vous. Dans cet article, je vous parle du thème du Focus. Il peut être à la fois un atout (vous restez concentré sur l’objectif) et un frein (vous êtes un peu trop rigide, comme Robocop…ou comme moi ce jour-là !). Vous pouvez prendre conscience qu’un de vos thèmes majeurs ne s’exprime à présent que dans sa partie négative (basement). Cette prise de conscience marque le début de votre travail de transformation de ce thème en Force. A l’opposé, certains de vos thèmes principaux vous apportent de la satisfaction , des résultats et un équilibre émotionnel ? Vous êtes alors au balcon (balcony) de votre Force selon Gallup… Et si vous venez de passer votre test, je vous recommande cet article grâce auquel vous pourrez tirer de nombreux avantages de votre test gratuitement !